1995-2005, la « Techno » emmène avec elle des centaines de milliers de jeunes en quête de nouvelles sensations danser dans les champs sur du gros son. Aujourd'hui, le mouvement ne fait plus la une de l'actualité, remplacé récemment par le phénomène des apéros Facebook. Qu'en reste-t-il ?
« Le milieu a eu tendance à s'autodétruire. Il y a eu trop de gens d'un seul coup. On était loin du côté punk des débuts. » À 37 ans, Damien Raclot-Dauliac a raccroché, comme beaucoup des pionniers des free parties. De cette époque, il a tiré un documentaire sans tabous, We had a dream (1). Mais lui-même le reconnaît : le mouvement est loin d'être éteint.
Petit saut, vingt ans en arrière. Quand les free parties débarquent d'Angleterre, aux alentours de 1993, les flyers annonçant ces fêtes clandestines circulent de main en main. Pour s'y rendre, il faut appeller une boîte vocale, qui vous conduit dans des hangars, des usines désaffectées, des clairières... Le mouvement prend de l'ampleur. Guillaume Kosmicki, auteur d'un pavé de 700 pages sur l'histoire des free parties (2), a vécu les débuts. Il a porté la double casquette de teufeur et de chercheur en musicologie. Comme beaucoup, il s'est investi à l'âge de 20 ans, plein d'utopie.
« L'âge d'or en Bulgarie »
Mais à la fin des années 1990, un virage s'opère. L'effet de mode gagne du terrain. « On est passé de quelques centaines à plusieurs milliers ». Dans son livre, tous les témoins évoquent ce changement : la transformation en « supermarchés de la drogue », la violence, la musique uniquement « boum boum boum », l'invasion massive de teufeurs en blousons kaki, surnommés « les petits pois »... Le couperet ne tarde pas à tomber : en 2001, « l'amendement Mariani » prévoit que tout rassemblement de plus de 500 personnes doit être déclaré en préfecture.
« La loi a entraîné la médiatisation du phénomène et a multiplié le nombre de participants. Entre 2001 et 2005, ils étaient plus de 300 000 », rappelle Lionel Pourtau, sociologue. C'est le temps des grands teknivals « légaux », rassemblant plusieurs dizaines de milliers de teufeurs. Les images véhiculées se répètent : pieds dans la gadoue, voisins effrayés, grand renfort de policiers... Ces rassemblements deviennent ingérables. Les zones pour les accueillir de plus en plus rares.
« Aujourd'hui, il n'y a plus ce mouvement massif », explique Guillaume Kosmicki. Pour trouver des grands teknivals encore libres, il faut aller dans l'Est. « C'est l'âge d'or en Bulgarie et Roumanie. Aucune loi ne les interdit... pour le moment. »
Mais le mouvement n'a pour autant pas disparu en France. Il se fait plus discret. « Il a baissé d'un tiers en volume, mais on compte 600 à 700 événements par an », précise Lionel Pourtau. Ce sont de petits rassemblements de 100 à 300 personnes « qui ne préoccupent plus les autorités ni les médias ». Si les fêtes légales et encadrées se sont imposées, des free parties clandestines continuent d'être organisées. « On revient un peu comme au départ », constate Damien Raclot-Dauliac.
« Des fêtes plus petites »
Pour les nouvelles générations, le mouvement « est loin d'être mort ». En Bretagne, région la plus impliquée, avec le Sud-Ouest et l'Ile-de-France, les sound systems se sont rassemblés pour organiser, depuis 2007, des festivals multisons, en accord avec les préfectures. Des fêtes légales, qui ont lieu dans chaque département breton, une fois par an, et rassemblent de 2 000 à 5 000 personnes. « Il fallait trouver un compromis. Les grands teknivals devenaient ingérables, explique Alexis Raisin, 25 ans, président d'Asso29, qui regroupe les 52 sound systems du Finistère. On évite de faire trop de pub pour ne pas avoir trop de monde. Ça marche au bouche-à-oreille. Chacun donne ce qu'il veut à l'entrée, il y a des décors originaux, la musique est plus variée, plus électro. »
« On est encore une culture à part, comme au début, poursuit le jeune Finistérien. Pour preuve : on continue d'être géré par le ministère de l'Intérieur, pas par celui de la Culture ! »
Marion ABLAIN.
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